Drückfigur

Tirage photographique sur papier canson, 130×100

Francfort est une ville curieuse dans sa conception urbanistique en Europe. Depuis sa
destruction quasi-totale après la Seconde Guerre mondiale, le modèle de la ville s’est scindé en deux. Reconstruisant un passé perdu dans la vieille cité pour y retrouver un patrimoine, une nouvelle forme de monument se dresse en parallèle de la reconstruction. L’importation de la formule américaine dans l’édification de tours, les skylines ont donné le surnom à la ville de ‘Mainhattan’, signifiant la proximité de l’identité visuelle des deux villes.

Les différents bouleversements qu’ont connus l’Allemagne et ce territoire sont d’ailleurs à l’origine de l’importation de ce nouveau modèle d’architecture. Comme pour rompre avec ce passé difficile, le choix des skylines est représentatif d’une architecture de guérison.
Markus Dauss indique dans son article Des pics émotionnels, l’exemple de Francfort :
‘les buildings déployaient non seulement l’attitude objective et neutre souhaitée à un niveau mental, mais évoquaient aussi un geste calme opportun du point de vue de la psychologie collective.’

Tandis que la ville ne cesse d’évoluer sous les yeux des Francfortois, les gratte-ciels
émotionnels font aujourd’hui partie intégrante de leur identité. La métamorphose du paysage urbain se fait notamment par la démolition de la première génération des buildings terminée vers la fin des années 50. La révolution des tours « mange » alors ses enfants au moment même où ils sont assez vieux pour être considérés comme monuments.
Alors que les skylines sont nécessairement connectés au marché financier, cette même
ambition rend obsolète cette forme immobilière et restructure l’horizon systématiquement.
Les bâtiments obsolètes suggèrent plus d’entretiens que de revenus locatifs. Ils coûtent cher de les maintenir et sont donc ceux qui vivent leur fin de cycle.
Un mécanisme d’apparition et de disparition en mouvement, craquelant le processus mémoriel en cours, empêchant la monumentalité dans le temps.

Ce fut le cas notamment de la Zurich Haus livrée en 1960 puis remplacée en 2010 par la
Opernturm de Christophe Mäckler. D’ailleurs l’architecte ne concède généralement pas plus de 30 ans aux buildings, laissant présager la potentielle reproduction du motif.

Dans tous les cas l’apparition, la reconstruction et la démolition, autrement dit sur sa
physionomie en perpétuel changement, sont teintés d’affectivité. L’ancien maire de Francfort, Rudi Arnd, l’aura compris à ses dépens après avoir envisagé la destruction des ruines du vieil opéra : il sera surnommé Dynamit-Rudi.

Dans la photographie, j’y utiliser un objet, le Wakouwa (ou drückfigur en allemand) qui contient en son sein cette dynamique d’apparition/démolition, comme principe actif, au pied du quartier d’affaire et de ces nombreux Skylines.

Le Wakouwa est un jouet suisse populaire en Allemagne, permettant par simple pression sur son socle de désarticuler la forme pour la faire revenir à l’identique dès lors que la pression cesse. En fonction de la pression exercée, la figure s’agite, se couche et se redresse par intermittence. Par ailleurs, l’émotion chez l’enfant est, d’après Georges Heuyer, associée systématiquement à une modification de la posture, du tonus musculaire et de la motricité.
Autrement dit, l’émotion de l’enfant est visible et perceptible par un observateur.

Ainsi, je téleverse par association d’idées ces deux mécaniques émotionnelles qui semblent se renseigner l’une et l’autre. En jouant avec le push puppet dans le quartier d’affaire, je transpose une sorte de ‘strip tease’ architectural déjouant ce qui peut-être se prépare, à des échelles de temps imprédictibles.

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